En collapsologue amateur, Pray4fun, artiste associé à Fructôse depuis trois ans, explore et observe le monde qui s’écroule. Dans des travaux mêlant peinture, graffiti et installation, il tente, essaie et persévère dans l’exploration de l’erreur humaine. Il imagine des interprétations et compositions des flux d’informations, d’images et vidéos qui se croisent sans hiérarchie sur nos murs d’actualités. Du mur au mur, il n’y a qu’un pas.

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Fructôse – Quel est ton parcours ?

Pray4fun – J’ai suivi des études en Arts plastiques pour arriver à l’obtention du CAPES. J’ai été enseignant pendant sept ans, à la suite desquels je me suis tourné vers la médiation.

Mon parcours d’artiste, quant à lui, est développé grâce à ma pratique du skate. Comme beaucoup de Dunkerquois·e·s, j’ai été accompagné par le graff. J’en voyais un peu partout, sur des murs près de chez moi… La ville a d’ailleurs une scène plutôt reconnue. De grand·es grafeur·euse·s sont passé·e·s par Dunkerque ! Mais c’est surtout par le skate que j’ai découvert le graffiti car les deux pratiques se faisaient au même endroit, au skatepark. Intéressé et ayant une vision du graff comme pratique collective, je m’y suis rapidement essayé avec des ami·e·s.

Fructôse – À quel moment et par quels biais as-tu commencé à élargir ton champ de formes et pratiques artistiques ?

Pray4fun – J’ai commencé à regarder autre chose que le graff à la période du lycée. Je me suis intéressé à l’art que je pouvais trouver autour de moi : l’art dans la ville, les affiches, les sculptures commémoratives… Mon grand-père était assez passionné d’art, il avait quelques livres et m’y a un peu fait toucher du doigt. Je n’ai pas “baigné dedans” mais j’ai été imprégné par tout ce que je regardais, sans y poser de quelconque hiérarchie. Un tag avait autant de valeur qu’une œuvre muséale. Je n’avais pas d’a priori et tout faisait art à mes yeux. Dès lors que je trouvais quelque chose de beau, je le légitimais. 

Pray4fun, Sans-titre, 2019. Peinture sur mur © Pray4fun

Mon regard s’est ainsi fait et s’en est suivi un parcours d’études artistiques en fac, avec un premier traumatisme : un professeur a un jour fait une blague sur Marcel Duchamp et tout le monde a rigolé, sauf moi car je ne connaissais pas encore Duchamp ! Je me suis alors mis à surconsommer de l’art, à lire des livres, à visiter des expositions, etc. mais je continuais à ne pas faire de hiérarchisation dans mes découvertes. Je me suis mis à aimer l’art sous toutes ses formes et je rationalisais. Que ce soit un graff ou un tableau du XVIe siècle, tout qui avait un fond faisait art. J’aimais le mélange des genres.

Je me suis notamment pris de passion pour l’art de la Renaissance car j’y trouvais des parallèles avec le graffiti contemporain. Comme les artistes du XVIe s., les graffeur·euse·s théorisent également beaucoup leur pratique !

Fatalement, ces études et ma pratique du graffiti se sont superposées. La semaine, j’avais des cours sur la perspective et le week-end, je faisais un graff. C’était assez marrant et j’ai continué depuis à m’alimenter de ces découvertes pour mes travaux.

Fructôse – Abreuvé par toutes ces recherches, comment est-ce que ta pratique a évolué ?

Pray4fun – Je dirais qu’elle s’associe maintenant à une pratique plastique qui fait même contre-pied au graff, un peu comme Marcel Duchamp. Lorsqu’il a voulu présenter son urinoir pour le premier salon de la Société des artistes indépendants à New York, il voulait faire un pied de nez au principe de cette exposition qui souhaitait autoriser tout·e artiste à exposer l’objet de son choix contre une petite somme. Ma pratique du graff s’est un peu dirigée vers ça.

Ce que j’aime dans le graff, c’est que les gens passent devant et trouvent cela beau, mais sans réellement savoir ce que c’est. Je me demande alors à quel moment est-ce qu’on va me dire que c’est moche, qu’on va me demander d’arrêter.

Vue de l’exposition Surfaces (mars 2017, galerie Le One à Dunkerque) © Pray4fun

Fructôse – Est-ce que c’est déjà arrivé ?

Pray4fun – Oui, il n’y a pas très longtemps à vrai dire ! Début juillet, je peignais une fresque avec des ami·e·s et iels m’ont dit que j’étais allé un peu trop loin… J’en ai quand même publié une photo sur Instagram et elle a été relayé par un compte important de la scène graffiti et comptabilisé un millier de likes ! C’est ça qui me plaît, c’est de contrarier. J’aime créer le regard artistique, qu’on ne s’arrête pas sur un “c’est beau” ou non.

Fructôse – Tu te joues par ailleurs de cette esthétique du bâclé, du mauvais goût.

Pray4fun – J’adore le “mal faire”, le côté “désapprendre à peindre” de Picasso. J’essaye d’aller vers l’échec, le raté, la représentation de “l’erreur humaine”. Le fait de rater est très personnel. Si on tente de redessiner un trait raté, par exemple, on n’y arrivera jamais, pas de la même manière en tout cas. Il y a une “irresproductibilité de l’erreur”, chacune est unique. 

Aller à la recherche de l’erreur, comme je le fais, est aussi difficile, d’autant plus dans une société dans laquelle on doit normalement montrer que l’on est le/la meilleur·e ! Mais cela me caractérise.

Je mélange l’erreur et le mauvais goût, tout en y amenant des références et des images artistiques, mythologiques ou du quotidien que je mets sur un pied d’égalité. J’aime peindre et m’amuser avec différents codes. 

Pray4fun, Still Carpet, 2020. Acrylique sur papier © Pray4fun

Fructôse – Quelles réactions souhaites-tu susciter chez les spectateur·trice·s de tes œuvres ?

Pray4fun – Avoir la pratique que j’ai sur mur, je trouve que c’est “audacieux”. Les passant·e·s s’attendent plutôt à voir des créations très colorées, du gros lettrage, etc. Alors que je peins principalement dans des couleurs pastels, j’atteins la limite du vulgaire avec des associations d’images codifiées… L’une des dernières fresques que j’ai réalisées est une reproduction de la Marie-Madeleine en extase du Caravage, à côté de laquelle j’ai peint des cartouches de protoxyde. En somme, c’est une recherche de mauvais goût sur l’extase au XXIe siècle : c’est par le protoxyde qu’on l’atteint aujourd’hui. 

J’ai envie de faire réagir en m’interrogeant sur la possibilité d’associer ce type d’images ensemble. C’est un assemblage qui existe notamment dans les mèmes sur les réseaux sociaux. On utilise des codes mythologiques ou religieux pour traduire des expressions actuelles car ce sont encore aujourd’hui des références culturelles connues et auxquelles on continue de se référer, d’exploiter.

Pray4fun” c’est un peu ça. Je ne vais pas dire que c’est ne rien prendre au sérieux mais peut-être de tout prendre au sérieux de la même manière. C’est mêler les références pour que tout le monde puisse s’y retrouver, s’en amuser…

C’est de cette manière que mon parcours a évolué. Je me nourris et crée des ponts entre des choses inattendues. L’erreur me permet de chercher ma propre identité et de développer une pratique tant sculpturale que de toile, etc. 

Fructôse – Comment s’est opéré ce glissement du graffiti à une pratique protéiforme ?

Pray4fun – Je pense que cette évolution vient des fêtes foraines et de leurs décors. Les devantures des manèges peuvent être très belles ou très approximatives, elles sont quand même exposées, légitimées. Même si elles sont mal faites, ce n’est pas grave, ça ne dérange pas… Quant au dos de ces panneaux, qu’on puisse le voir ou pas, est souvent laissé nu, non peint, l’ossature apparente… Tout ça me fait réfléchir à ma pratique de l’image.

© Fructôse

Fructôse – C’est aussi un dispositif que tu vas utiliser lors de ton FOCUS au Skatepark de Dunkerque, le 12 septembre. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Pray4fun – Pour ce FOCUS, je vais en effet construire une installation qui reprendra le même principe que ces décors forains, avec une face privilégiée. Sur un socle reposera une installation en bois rappelant le mythe de Diane et Actéon. Chaque rebord du plateau sera skatable mais ce qui va m’intéresser sera le rapport à l’image et à la face peinte. Je suis presque sûr que les spectateur·trice·s prendront cet angle de vue en photo et très peu, voire pas du tout, l’autre face, celle “moins” travaillée.

C’est un jeu sur le rapport à l’image. Lorsqu’on poste une photo sur les réseaux, on a choisi un peu spécifique mais, fondamentalement, il est toujours un peu le même selon le sujet de la photo. C’est donc ce que je vais proposer, et même imposer. Je vais forcer l’angle à voir/photographier, tandis que les autres ne seront que du carton-pâte, comme dans un manège : en marche avant, on est en pleine immersion mais lorsqu’on se retourne, on ne voit que l’armature, l’arrière du décor…

Ce sera une installation “à angle instagrammable unique”. De dos, elle pourrait tout autant fonctionner mais plutôt que de laisser les spectateur·trice·s choisir, comme autour d’une sculpture alors que l’artiste les aura tous travaillés avec la même importance, je vais imposer le point de vue.

C’est une autre façon d’approcher mon travail avec les réseaux sociaux et d’y mêler mon intérêt pour les effets de décor, que je réalise généralement de manière très théâtrale, de créer du volume, du sculptural à plat.

Le 12 septembre, il y aura aussi un moment de présentation et de discussion de mon travail, des skatteur·euse·s viendront faire une démo du module.

Fructôse – Lors de la conception de ce FOCUS, tu as d’emblée souhaité le réaliser au Skatepark de Dunkerque. Pourquoi ce choix ?

Pray4fun – La proposition de réaliser ce FOCUS hors les murs m’a fait me diriger vers le Skatepark car ce lieu permettait de questionner l’art. Que le module que je vais y installer soit skatable, c’est uniquement parce qu’il y sera présenté. Si la rencontre avait eu lieu ailleurs, la proposition aurait été différente. Le skate n’est pas le fond du travail mais bien sûr, c’est aussi ce qui m’a amené à l’art donc je suis heureux que ce FOCUS s’y déroule !

Pray4fun, A.S. Dunkerque SUD vs Olympique Pray4fun (match aller), 2018 © Fructôse
Installation réalisée ans le cadre du F Tour, parcours artistique organisé par Fructôse pour fêter ses 10 ans d’activité sur le territoire dunkerquois. En partenariat avec l’AS Dunkerque Sud et le Théâtre La Licorne.

J’aime créer l’interaction, que mon travail provoque le discours, le dialogue mais aussi l’utilisation. On pourra regarder l’installation au Skatepark comme une œuvre, questionner le récit de Diane et Actéon mais elle a aussi un potentiel d’usage : c’est une œuvre skatable et l’est car le lieu nécessite la pratique du skate. Je veux créer l’interaction avec les usager·ère·s du lieu et paradoxalement, j’aimerais aussi que lorsqu’iels la regardent, iels n’osent pas non plus l’utiliser. Cela s’était produit avec l’installation que j’avais présentée dans le cadre du F Tour, lorsque j’avais placé des supports mobiles représentants des sculptures gréco-romaines dans un stade de foot pour que les joueur·euses·s les utilisent pour l’entraînement. Iels n’osaient pas tirer dessus car c’était de “l’art” !

Fructôse – En parlant du F Tour et donc de Fructôse, quel est ton rapport avec l’association ?

Pray4fun – Fructôse m’a tout d’abord permis de dissocier deux pratiques : l’une personnelle, plus légère, l’autre plus professionnelle avec du montage de projets participatifs, de travail avec les habitant·e·s et avec les artistes permant·e·s. Je partage notamment mon atelier avec Gautier Ds, avec qui nous formons le duo Les Frères Crayon, et Fructôse nous a permis de mener plusieurs projets ensemble, notamment lors du festival La Bonne aventure (Di(va)gue en 2018, Malo Golf Social Club en 2019).

Fructôse me permet aussi de rencontrer des artistes et cela me nourrit énormément. Tou·te·s m’inspirent !

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Intégrant sa passion du skateboard à sa pratique artistique, Pray4fun réalisera à la rentrée une installation au Skatepark de Dunkerque. Lors de la soirée d’inauguration du module, le samedi 12 septembre, Pray4fun invitera les usager·ères du skatepark à rider cet objet hybride, mi rampe mi oeuvre d’art, et présentera son processus de travail.
ECCHYMÔSE — FOCUS : PRAY4FUN

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